Logo Groupe Loyer Avocats
Veuillez noter que nos publications ne sont pas destinées à conseiller le public et ne peuvent remplacer les services d’un avocat. Elles ne constituent en aucun cas un avis juridique et elles ne créent pas de relation avocat-client.

La syndicalisation des cadres : une révolution en droit du travail ?

Depuis le 7 décembre 2016, à la suite de deux décisions[1] rendues par la juge Irène Zaïkoff du Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT »), le droit à la syndicalisation est maintenant reconnu pour deux associations de cadres de premier niveau. Dans ces affaires, la Cour conclu qu’à l’égard des cadres de l’Association professionnelles de cadres de premier niveau de Hydro-Québec (ci-après « APCPNHQ ») et de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ci-après « ACSCQ »), l’interdiction de syndicalisation prévue au Code du travail était inconstitutionnelle et donc, illégale.

Comme le relève la juge, la situation prévalant au sein de chacune de ces sociétés étatiques présente de nombreuses similitudes. En effet, la structure opérationnelle y est complexe et les paliers hiérarchiques y sont multiples. Les cadres se déploient en plusieurs niveaux, soit subalternes (ou de premier niveau), intermédiaires et supérieurs. Les deux niveaux supérieurs sont investis du pouvoir décisionnel et leur allégeance patronale est claire. Or, de l’opinion de la juge Zaïkoff, il en va autrement pour les cadres inférieurs, car ils exécutent des tâches de surveillance et ont un faible poids décisionnel. Par cadres inférieurs, on entend ici les contremaîtres et autres surveillants.

Devant la Cour, les employeurs et le gouvernement du Québec soutenaient à titre d’argument principal que l’interdiction de syndicalisation imposée aux cadres inférieurs est légitime et que pour cette raison, l’interdiction n’est pas contraire aux dispositions des Chartes. Selon eux, permettre aux cadres de premier niveau de négocier leurs conditions de travail collectivement les placerait en situation de conflit d’intérêts, puisqu’ils seraient tiraillés entre leurs propres intérêts et ceux de l’employeur qu’ils représentent.

À cette prétention, la réponse de la juge est sans équivoque : exclure les cadres de premier niveau de la définition de « salarié » brime leur liberté d’association protégée par les Chartes québécoise et canadienne, et ce, de façon injustifiée.

Les motifs au soutien de cette conclusion sont lourdement documentés et des plus étoffés. Premièrement, bien que les cadres de premier niveau aient pu former des associations, l’APCPNHQ et l’ACSCQ sont toutes deux tributaires de la reconnaissance volontaire de leurs employeurs respectifs. Ensuite, la position délicate dans laquelle se trouvent les cadres de premier niveau, appelés à appliquer les politiques de l’entreprise au nom de la direction tout en étant exclus du pouvoir décisionnel, crée un déséquilibre des forces entre employeurs et cadres. En effet, ces derniers sont sujets à des représailles s’ils ne collaborent pas en tout point avec l’employeur. De plus, sans la protection des Chartes, les membres de ces associations ne disposent d’aucun processus pour forcer la négociation. Malgré que selon leur entente respective avec leur employeur les associations soient supposées participer au processus décisionnel des salaires et des horaires de travail, les employeurs ne respectent pas les ententes. Or, ces mêmes ententes ne prévoyant pas de mécanisme de pénalité, les associations n’ont aucun moyen de les faire respecter. Au surplus, les deux associations ne peuvent recourir à aucun mécanisme de règlement des différends, empêchant la négociation de bonne foi entre les parties. Ultimement, l’interdiction de syndicalisation prive les membres de l’association d’un droit de grève et de tout processus de négociation collective.

Au terme du processus de réflexion de la juge, la réparation appropriée dans les circonstances fut donc de rendre inopposable aux cadres de premier niveau de l’APCPNHQ et l’ACSCQ l’interdiction de syndicalisation des cadres inférieurs. Cette conclusion est révolutionnaire en droit du travail, mais dans un spectre très restreint, puisque la décision n’a d’effet que pour les cadres de premier niveau d’Hydro-Québec et de la Société des casinos du Québec. Les deux employeurs ont d’ailleurs fait appel de la décision de la juge Zaïkoff devant la Cour supérieure. Il serait surprenant que le gouvernement modifie la loi avant la fin du processus judiciaire, mais il n’existe aucune certitude à cet égard. La vigilance reste donc de mise. Comme il n’y a pas eu d’autres décisions rendues par le TAT à ce sujet, nous allons suivre avec attention le dossier d’appel des jugements rendus par la juge Zaïkoff et tiendrons nos lecteurs informés de tout nouveau développement.

Me Jocelyn Beaudoin, avocat

[1] Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec (APCPNHQ) et Hydro-Québec, 2016 CanLII 6871 (QCTAT)  ; Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., 2016 CanLII 6870 (QCTAT) .