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Lésion professionnelle découlant du harcèlement psychologique : obligations de l’employeur

Le 9 décembre 2021, le juge administratif Michel Sansfaçon a précisé, dans la décision Centre de santé et de services sociaux de Cavendish et Bouchard, quelles étaient les responsabilités de l’employeur dont l’un des employés a subi une lésion professionnelle[1].

Une agente de planification dans un Centre de santé et de services sociaux a fait une réclamation à la CNESST en décembre 2019, en lien avec une lésion professionnelle subie en 2018. En effet, elle a connu un épisode de dépression majeure dû à de l’intimidation sur les lieux de son travail. Il est bien établi qu’une lésion professionnelle peut découler du harcèlement psychologique, et que le travailleur qui en est victime peut bénéficier du régime prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après « L.A.T.M.P »)[2].

L’employeur prétendait que la réclamation de l’employée ne pouvait être reçue, étant donné qu’elle avait été faite après l’expiration du délai prévu à l’article 270 de la L.A.T.M.P[3]. Cet article prévoit que le travailleur qui a subi une lésion professionnelle et qui est incapable d’exercer son emploi pendant plus de 14 jours a six (6) mois à partir de la lésion pour produire une réclamation et obtenir les prestations auxquelles il a droit.

Malgré cela, le juge a relevé l’employée des conséquences de son retard, puisqu’elle a soulevé un motif crédible pour l’expliquer[4]. Le médecin de la travailleuse, qui avait établi que sa lésion était en lien avec son travail, avait en effet omis de produire le rapport médical approprié, comme l’exige la loi. De l’avis du juge, cela expliquait en partie le retard de la travailleuse à produire sa déclaration, mais il y avait autre chose.

L’employeur, informé du fait que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle, a mené une enquête interne au sujet du harcèlement psychologique qu’elle a dénoncé. Malgré sa connaissance des faits, l’employeur n’a jamais rappelé à la travailleuse qu’elle pouvait produire une réclamation à la CNESST afin d’obtenir des prestations.

Certes, l’employeur n’a pas d’obligation légale à cet égard. Il doit seulement assister le salarié dans la rédaction de sa réclamation en lui fournissant les informations dont il a besoin[5]. Or, le juge Sansfaçon a écrit :

Même si l’employeur n’avait pas une obligation en vertu de la Loi, son silence et son inaction […] constitue un motif raisonnable permettant d’expliquer le retard de la travailleuse à produire une réclamation[6].

Le juge tient aussi compte du fait que la travailleuse, n’étant pas syndiquée, n’a pas pu recevoir les conseils ou l’aide d’un représentant syndical dans sa démarche. Pour toutes ces raisons, il a estimé que la réclamation de la travailleuse, bien que déposée hors délai, était recevable[7].

En conclusion, rappelons que tout employeur a l’obligation de prévenir le harcèlement psychologique en milieu de travail[8], ce qui nécessite notamment d’adopter une politique interne à ce sujet, ainsi qu’une procédure de plainte pour les employés. Il doit aussi prendre les moyens nécessaires pour faire cesser toute situation de harcèlement dont il a connaissance[9].

Me Pierre Loyer, avocat

Avec la collaboration de Marie-Jeanne Auclair, étudiante en droit

[1] Centre de santé et de services sociaux de Cavendish et Bouchard, 2021 QCTAT 5905

[2] Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, par. 68

[3] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001, art. 270 al. 1

[4] Id., art. 352

[5] Id., art. 270 al. 1

[6] Centre de santé et de services sociaux de Cavendish et Bouchard, préc., note 1, par. 32

[7] Id., par. 36

[8] Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1, art. 81.19

[9] Rusu et Bombardier inc. — Groupe aéronautique (Amérique du Nord), 2016 QCTAT 2654, par. 199-200 (requête en révision rejetée le 22 février 2017)